III
IL N’EST PAS D’ENNEMI PLUS MORTEL

Bolitho se tenait appuyé sur le rebord de la grande fenêtre de poupe lorsque Keen pénétra dans sa chambre, sa coiffure sous le bras.

Derrière l’Argonaute, les autres bâtiments faisaient route bâbord amures, voiles et huniers brassés serré pour prendre le vent. Un peu à l’écart mais toujours sous bonne escorte, l’Oronte avançait à une allure convenable grâce à son appareil à gouverner de fortune. La vitesse de toute l’escadre en était pourtant sévèrement réduite.

Il faisait froid et humide. Bolitho songeait à la Méditerranée, à la chaleur qu’ils allaient y trouver.

L’incident de l’Oronte remontait à la veille. Bolitho imaginait ce qui se racontait dans l’entrepont comme au carré au sujet de la fille que l’on avait emportée à l’infirmerie.

Keen, le regardant, lui demanda :

— Vous souhaitiez me voir, sir Richard ?

Il ne lui avait pas échappé qu’Ozzard et les autres avaient disparu. Il s’agissait bien d’un entretien en particulier.

— Oui. Le capitaine de l’Oronte m’a fait porter une lettre.

— Je le sais, acquiesça Keen, c’est mon bosco qui est allé la chercher, amiral.

— Il y proteste contre votre conduite, notre conduite plutôt, puisque vous êtes sous mes ordres, et menace de porter l’affaire devant l’autorité supérieure.

— J’en suis désolé, répondit doucement Keen, je ne voulais pas vous mêler…

— Je ne m’attendais pas à moins venant de vous, Val. Et je ne suis pas troublé le moins du monde par les menaces de ce porc. Si je devais adresser officiellement à Londres une réclamation pour obtenir de ses employeurs des indemnités de remorquage, le capitaine Latimer se retrouverait au sec avant d’avoir eu le temps de faire ouf. Les gens de sa sorte sont de la racaille, ils touchent l’argent du sang comme leurs confrères qui pratiquent la traite des nègres.

Keen ne disait rien, à moitié surpris que Bolitho ne lui eût pas d’abord reproché de s’être interposé. Il aurait dû s’en douter.

— Avez-vous parlé à cette fille ? lui demanda Bolitho.

Keen haussa les épaules.

— A vrai dire, non, amiral. J’ai pensé qu’il valait mieux la laisser entre les mains du chirurgien le temps qu’elle se remette. Si vous aviez vu ce fouet, la taille de celui qui la frappait…

Bolitho réfléchissait tout haut.

— Il faudra la confier aux soins d’une autre femme. J’ai songé à Inch, comme vous me l’avez suggéré, mais je ne suis pas si sûr que ce soit la solution. Des femmes d’officiers, une fille condamnée à la déportation, encore que j’ignore totalement pour quelle sorte de crime, je vais demander à Latimer de me fournir des détails sur son cas.

— Vous êtes bien bon de vous donner tant de peine, s’excusa Keen. Si j’avais seulement su…

— Vous auriez agi de la même manière, le coupa Bolitho en souriant.

On entendait le martèlement de pieds nus sur le pont, des poulies grinçaient. L’officier de quart criait des ordres, appelait du monde aux bras.

À bord d’un vaisseau du roi, surpeuplé, une femme seule pouvait être regardée de plusieurs façons, et porter malheur n’était pas le moindre grief. Semblables superstitions peuvent bien amuser les terriens ; ils n’ont qu’à passer quelques jours à bord, et ils jugeront par eux-mêmes.

— Allez la voir, Val, puis dites-moi ce que vous en pensez. À Gibraltar, nous pourrons la transférer à bord de la Philomèle. Plus je vous entends, plus je me dis que sans cela Latimer ne manquera pas de prendre sa revanche.

Keen se retira. Il avait décidé d’aller voir la jeune fille avant de s’entretenir de son cas avec le chirurgien. Quelle qu’eût été sa conduite jusque-là, au cours d’une si brève carrière, elle ne méritait certainement pas de subir l’humiliation et la torture du fouet.

Bolitho attendit que la porte se fût refermée et retourna s’asseoir près des fenêtres de poupe.

De temps en temps, il songeait à Falmouth, au bonheur sans nuage qu’il avait connu à son retour, à sa fille unique, Elizabeth, qu’il tenait dans ses bras avec des précautions dont riait Belinda.

Bolitho avait toujours su à quel point il était difficile pour une femme de franchir le seuil de la demeure des Bolitho. Cette maison était trop pleine d’ombres et de souvenirs, on exigeait trop d’une pièce rapportée. Et, circonstance aggravante pour Belinda, elle remplaçait Cheney. Du moins, elle en avait eu le sentiment.

Bolitho avait accusé le coup plus fortement encore en découvrant que le portrait de Cheney, pendant de celui qu’elle avait fait faire de lui, avait disparu de la pièce où ils étaient accrochés tous deux. Elle y était représentée sur fond de rivage, ses yeux avaient la couleur de la mer. Lui-même en uniforme galonné, le capitaine de vaisseau qu’elle avait tant aimé. Son portrait était, depuis, accroché au milieu des autres, à côté de celui de son père, le commandant James.

Il n’avait rien dit, il ne voulait pas la blesser, mais il en était encore troublé. Comme d’une trahison.

Il essayait de se persuader que Belinda essayait seulement de l’aider, de faire comprendre aux autres à quel point il était utile à son pays.

Mais Falmouth était sa maison, pas Londres. Il entendait encore les mots si durs qu’ils avaient échangés dans cette pièce si calme.

Il soupira et essaya de penser à Allday. Il avait probablement senti l’atmosphère différente qui régnait désormais à Falmouth. Impossible de deviner quelles conclusions il en avait tirées. Ou bien encore, la découverte de son fils l’avait tellement occupé qu’il n’avait pas eu le temps de ruminer.

Il les voyait tous les deux, debout dans la chambre. Allday, solide, content de lui dans sa vareuse bleue aux riches boutons dorés, la tête penchée pour mieux observer et écouter ce que Bolitho disait à ce jeune matelot, John Bankart.

Bolitho revoyait encore Allday embarquant à bord de sa frégate, la Phalarope, victime de la presse. Déjà vingt ans, il ne pouvait y croire. Ferguson, qui était devenu son majordome à Falmouth, avait été ramassé en même temps que lui. Il n’était pas étonnant qu’ils fussent restés si proches.

Allday ressemblait alors énormément à ce jeune marin. Des yeux clairs, une bonne tête, avec tout de même une espèce de méfiance qui perçait sous la surface. Il s’était fait surprendre par un détachement de presse et avait signé sans trop d’hésitation alors qu’il avait environ dix-huit ans. Il n’aimait guère son existence à la ferme et savait que, s’il se portait volontaire, il serait mieux traité à bord d’un vaisseau du roi que les enrôlés de force.

Sa mère ne s’était jamais mariée. Allday soupçonnait, et cela le mettait mal à son aise, que le fermier l’avait souvent mise dans son lit en la menaçant, si elle refusait, de la chasser, elle et son petit bâtard.

Cette histoire touchait un point sensible chez Bolitho. Il se souvenait de l’arrivée d’Adam à bord de son bâtiment, après tout ce trajet à pied de Penzance, où sa mère était morte. Ces deux destins étaient trop semblables, et il en était tout ému.

Bankart avait déjà montré de bonnes qualités de marin. Il savait prendre un ris, faire une épissure, tenir la barre et aurait pu en remontrer à bien des vieux loups de mer. En tant qu’adjoint du maître d’hôtel, il aurait peu de relations directes avec son amiral. Son travail consisterait à entretenir le canot et à le maintenir en bon état, à assurer les allées et venues avec la terre ou avec d’autres bâtiments et à aider Allday dans la mesure du possible. Pour l’instant, cela semblait être une solution satisfaisante.

Il se leva, entra dans sa chambre à coucher puis, après avoir brièvement hésité, ouvrit un tiroir et en sortit la jolie miniature ovale. L’artiste avait saisi à la perfection l’expression qu’elle avait. Bolitho la remit à sa place sous ses chemises.

Mais que lui arrivait-il donc ?

Il était heureux, il avait une femme adorable de dix ans sa cadette, et, depuis peu, une petite fille. Pourtant…

Il tourna les talons et regagna sa chambre de jour.

Lorsqu’ils auraient rallié la flotte, les choses seraient différentes. Le combat, le danger et les récompenses de la victoire.

Il contempla son reflet dans les fenêtres maculées de sel et eut un sourire amer.

Sir Richard. Soit ; pourtant, à cette heure le roi avait sans doute oublié son nom.

Bolitho essaya de se concentrer sur les mois à venir, et de se demander comment Lapish se comporterait lorsque pour la première fois la seule frégate de l’escadre serait appelée à combattre, mais il ne put fixer sa réflexion sur ce point.

Il ne cessait de songer au portrait que l’on avait enlevé de la pièce qui regardait sur la mer, et un regret le prit soudain : il aurait dû l’emporter avec lui.

 

À des coudées au-dessous de confortables appartements de Bolitho et de leur balcon de poupe avec sa vue panoramique sur l’arrière, l’infirmerie de l’Argonaute paraissait bien étouffante. L’entrepont, sous la ligne de flottaison, était complètement clos. C’était un univers parcouru d’ombres qui valsaient à la lueur des fanaux soumis à d’incessants mouvements. Les énormes barrots de pont y étaient si bas qu’un homme pouvait à peine tenir debout. À compter du jour où le bâtiment avait été construit, l’entrepont n’avait plus revu et ne reverrait jamais plus la lumière du jour.

De minuscules boxes, qui ressemblaient à des clapiers, étaient alignés dans la partie du pont où les officiers mariniers défendaient âprement leur petit domaine, avec à peine assez de place pour bouger. Un peu plus loin, les postes des aspirants, où les « jeunes messieurs » vivaient leur vie de patachon alors qu’ils étaient supposés y poursuivre les études qui pouvaient leur valoir une promotion, à la pauvre lueur d’une mèche trempée dans l’huile au fond d’un coquillage ou d’une vieille boîte.

Les soutes à cordages et la sainte-barbe, où une simple étincelle pouvait déclencher un désastre, partageaient le pont avec eux et, encore plus bas, de vastes soutes où l’on serrait tout ce qui est nécessaire à un vaisseau pendant plusieurs mois si besoin.

Tout à l’arrière, au pied d’une descente, l’infirmerie, peinte en blanc, semblait lumineuse en comparaison de tous ces espaces, avec ses rangées de cruches et de flacons.

C’était là que se rendait Keen. Il courbait d’instinct la tête pour éviter les barrots et ses épaulettes brillaient lorsqu’il passait d’un fanal au suivant. Des formes sombres et des visages indistincts surgissaient à la lumière avant de disparaître dans ce monde à part, si éloigné de la mer et du ciel.

Il aperçut James Tuson, le chirurgien, en grande conversation avec son aide, un échalas tout pâle du nom de Carcaud qui était originaire des îles Anglo-Normandes. Il ressemblait davantage à un Breton qu’à un Anglais, mais c’était un garçon intelligent qui maîtrisait à la fois la lecture et l’écriture. Keen savait que Tuson, qui avait été chirurgien à bord de l’Achate, suivait avec intérêt l’escogriffe qui l’assistait et lui avait transmis tout ce qu’il avait pu de ses compétences. Ils jouaient souvent aux échecs.

Keen aimait bien Tuson avec ses cheveux blancs, alors qu’il ne le connaissait guère plus qu’à bord de leur précédent embarquement. C’était un excellent chirurgien, cent fois meilleur que tous ses congénères qui sévissaient à bord des vaisseaux du roi. Mais il restait dans son coin, ce qui n’était pas chose facile dans l’espace confiné de l’entrepont. Le plus souvent, il n’apparaissait au carré qu’au moment des repas.

Un fusilier dont les buffleteries paraissaient très blanches dans cette misérable lumière se mit au garde-à-vous, attirant l’attention de Tuson, qui aperçut le commandant. Keen se dit qu’il avait pris une sage précaution en faisant placer un factionnaire à l’entrée. Beaucoup de ses marins étaient à la mer, sur un bâtiment ou sur un autre, sans relâche depuis des mois. N’importe quelle femme courait donc de grands risques ; que dire alors d’une condamnée ?

Tuson murmura quelque chose, et son assistant, cassé en deux ou peu s’en fallait, disparut dans la pénombre.

— Comment va-t-elle ? interrogea Keen.

Tuson déroula les manches de sa chemise et se donna le temps de la réflexion.

— Elle ne dit rien, à moi en tout cas. Elle est jeune, je dirais moins de vingt ans, sa peau est fine et, à voir ses mains, elle n’a jamais travaillé aux champs – puis, s’éloignant du factionnaire toujours au garde-à-vous et qui semblait s’être coincé la coiffure contre le pont : Elle porte de nombreuses contusions, continua-t-il un ton plus bas.

J’ai peur qu’elle n’ait été violée ou gravement molestée. (Soupir.) Je ne veux pas prendre le risque de l’examiner, compte tenu des circonstances.

Keen hocha la tête. La fille avait soudain acquis un statut de personne : de simple victime, elle était passée au rang d’individu réel.

Le chirurgien l’observait, l’air grave. Il souriait rarement.

— Elle ne peut pas rester ici, commandant.

Keen éluda :

— Je vais lui parler – il hésita : Mais peut-être, reprit-il, êtes-vous d’avis qu’il ne faut pas ?

Le chirurgien le précéda dans le petit local bien éclairé.

— Elle sait où elle est, mais montrez-vous patient, je vous en conjure.

Keen pénétra dans l’infirmerie et la vit, allongée sur le ventre, le visage dans un oreiller. On l’avait recouverte d’un drap. Elle dormait, apparemment, mais, à entendre sa respiration saccadée, Keen savait qu’elle faisait semblant. Le chirurgien tira sur le drap et Keen vit son dos se raidir.

Tuson débita doucement, d’une voix quasi clinique :

— La blessure est en cours de cicatrisation, néanmoins…

Il souleva un pansement simplement posé et Keen découvrit la profonde entaille laissée par le fouet. S’il n’avait agi avec promptitude ou à plus forte raison s’il ne s’était pas rendu à bord du bâtiment, c’était une femme morte, ou à tout le moins infirme. À la lueur de la lanterne, la blessure paraissait noire.

Tuson lui montra sa chevelure, qu’elle avait longue et châtain foncé. Les mèches étaient tout emmêlées et, lorsque Keen les effleura, la jeune femme se raidit une nouvelle fois.

— Elle a besoin d’un bain et de vêtements propres, fit enfin Tuson.

— Je vais envoyer un enseigne à bord de l’Oronte, décida Keen, dès que nous serons à l’ancre. Elle a sûrement quelques affaires.

Ces mots semblèrent la frapper comme un coup de fouet : elle se retourna brusquement, ramenant le drap sur sa poitrine qu’elle couvrit, sans prendre garde aux gouttelettes de sang qui suintèrent immédiatement de sa blessure.

— Non, je ne veux pas retourner là-bas ! S’il vous plaît, ne me renvoyez pas à ce… à cet endroit !

Keen resta sans réaction devant cet éclat. La fille était presque belle, d’une beauté que les contusions et ses cheveux en désordre ne pouvaient cacher entièrement. Elle avait des mains petites et fort bien faites, elle écarquillait des yeux suppliants, on avait l’impression qu’ils allaient jaillir de leurs orbites.

— Doucement, mon enfant, calmez-vous.

Il se recula un peu pour tenter de la calmer, mais vit Tuson qui donnait un coup de menton.

— C’est le commandant, dit le chirurgien. Il vous a sauvée du fouet.

Elle fixa le visage anxieux de Keen et fit enfin :

— Vous, monsieur ? – sa voix n’était qu’un murmure. C’était vous ?

Elle parlait avec le doux accent de l’Ouest. Comment pouvait-on l’imaginer subissant un procès, puis condamnée à la déportation à bord de cet infâme bâtiment avec les autres prisonniers ?

— Oui, c’était moi.

Tout autour, le bâtiment faisait entendre son vacarme habituel, craquements, grondements sourds et fracas de l’eau sur les énormes planches de bordé lorsque la quille s’enfonçait dans un creux. Mais Keen ne percevait que le silence, comme si le temps s’était soudain figé. Il s’entendit lui demander :

— Comment vous appelez-vous ?

Elle jeta un coup d’œil inquiet au chirurgien, qui lui fit un signe d’encouragement.

— Carwithen.

Et elle serra un peu plus fort le drap tandis que Tuson remettait les pansements en place.

— D’où venez-vous ?

— Du Dorset, monsieur, de Lyme – elle leva un peu son menton délicat et Keen vit qu’il tremblait. Mais en réalité, je suis cornouaillaise.

— C’est bien ce que je pensais, grommela Tuson – puis, quand il se fut redressé : À présent, lui recommanda-t-il, restez tranquille et n’allez pas rouvrir votre plaie. Je vais vous faire porter un peu de nourriture.

Et, se retournant vers la porte, il appela son assistant.

Elle jeta un nouveau regard à Keen et lui demanda dans un murmure :

— Vous êtes vraiment le commandant, monsieur ?

Keen se rendait compte qu’elle finissait par baisser la garde. Il avait été élevé avec ses deux jeunes sœurs et identifiait aisément ce genre de réaction. Dieu seul savait ce qu’elle avait souffert.

Il se dirigea vers la porte, s’arrêta un instant comme la coque plongeait puis hissait avec peine ses dix-huit cents tonnes dans l’attente du prochain creux. La jeune fille ne le quittait pas des yeux.

— Qu’allez-vous faire de moi, monsieur ?

Sans lui répondre, il lui demanda brusquement :

— Quel est votre prénom ?

— Zénoria, répondit-elle, prise au dépourvu.

— Eh bien, Zénoria, suivez à la lettre les instructions du chirurgien. Je vais m’employer à ce qu’il ne vous soit fait aucun mal.

Il dépassa le factionnaire sans même le voir.

Qu’avait-il fait ? Comment pouvait-il lui promettre quoi que ce fût et que pouvait-elle lui promettre en retour ? Il ne la connaissait même pas.

En escaladant l’échelle, la réponse lui apparut clairement : c’était de la folie. Je suis sans doute devenu fou.

Cette pensée le titillait, et il fut soudain heureux de revoir le ciel.

 

Le lieutenant de vaisseau Hector Stayt se pencha sur la table pour soumettre à la signature de Bolitho un second exemplaire de ses ordres. On les communiquerait aux commandants à l’arrivée au mouillage de Gibraltar. Ils y seraient dans les deux jours si le vent voulait bien rester favorable. La semaine avait paru longue et sans éclat depuis l’incident de l’Oronte, mais pour l’heure la petite escadre faisait route au sudet. La côte espagnole de Cadix à Algésiras était à peine visible, même pour les yeux exercés des vigies, mais la traversée arrivait à son terme.

Bolitho parcourut rapidement l’écriture ronde de Yovell avant d’apposer sa signature au bas des documents. Tous ces ordres étaient identiques, mais les commandants qui les liraient les interpréteraient chacun à sa manière. Une fois en Méditerranée, il n’aurait plus guère le temps ni l’occasion de mieux connaître ses officiers, et il en irait de même pour eux.

Il pensa à Keen, aux visites qu’il rendait à leur passagère inattendue. Les architectes français avaient ménagé une seconde chambre des cartes à l’arrière de la chambre du commandant et on l’avait arrangée de manière aussi confortable que possible pour la jeune Zénoria Carwithen. Une couchette, un miroir, quelques draps propres prélevés au carré avaient suffi à transformer l’endroit. Ozzard avait même déniché dans la cale une commode d’officier et l’avait installée là. Il ne fallait pas qu’ils se fassent trop à l’idée de l’avoir à bord, songea-t-il. Une fois qu’ils auraient atteint le Rocher…

— J’ai entendu des bruits à propos de cette fille, sir Richard, commença Stayt.

Ce n’était pas la première fois qu’il donnait le sentiment de lire dans les pensées de Bolitho. Il y avait de quoi vous dérouter et vous agacer…

— Oui ? fit Bolitho en levant les yeux de sa table.

Stayt avait pris un air presque indifférent, maintenant qu’il avait réussi à retenir l’attention de son amiral.

— Oh ! elle a été mêlée à une espèce d’émeute, pour ce que j’en sais. C’était non loin de terres qui appartiennent à mon père. Quelqu’un a été assassiné avant l’arrivée de la force armée… Après la bataille, comme toujours, laissa-t-il tomber avec une esquisse de sourire.

Bolitho détourna les yeux et les fixa sur les sabres accrochés à leur râtelier. Le premier était resplendissant, l’autre presque terne en comparaison.

Stayt prit ce silence pour une marque d’intérêt.

— Son père a été pendu.

Bolitho sortit son oignon, dont il ouvrit le couvercle.

— C’est l’heure de l’exercice des signaux, monsieur Stayt. Je monte.

Stayt sortit. Il avait une démarche sautillante, qui semblait traduire une grande confiance en soi.

Bolitho fronça le sourcil : à tout le moins, de la vanité.

Yovell s’approcha de la table, ramassa les papiers épars. Il leva les yeux par-dessus ses petites lunettes cerclées d’or et dit :

— Les choses ne se sont pas passées exactement ainsi, sir Richard.

Bolitho se tourna vers lui :

— Racontez-moi ça. J’aimerais bien avoir votre propre version.

Yovell eut un triste sourire.

— Carwithen était imprimeur, amiral, et un bon, à ce qu’on m’a dit. Des ouvriers agricoles lui ont demandé d’imprimer des petites brochures, autant dire des doléances, dénonçant deux propriétaires qui ne leur avaient pas donné leur argent et leurs meubles. Carwithen était un homme un peu vif, qui n’hésitait pas à dire le fond de sa pensée, surtout s’il s’agissait de prendre la défense de quelqu’un de lésé.

Yovell rougit, mais Bolitho lui fit un signe :

— Dites ce que vous avez à dire, mon vieux.

Il était étrange que Yovell fût au courant de ces choses. Lorsqu’il était à terre, il vivait chez Bolitho, mais il était originaire du Devon, « un étranger » pour les habitants du lieu. Et pourtant, il savait apparemment tout ce qui se passait autour de lui.

— La femme de Carwithen était déjà morte à l’époque, c’est pour ça qu’ils ont chassé la fille du comté.

— Ils l’ont envoyée dans le Dorset ?

— Oui, amiral, c’est cela.

Il s’était donc passé autre chose depuis l’« émeute », pour employer le terme de Stayt.

Il entendit des coups de sifflet sur la dunette, on rassemblait l’équipe des signaux sous l’œil vigilant de Stayt. Les signaux, particulièrement au combat, doivent être rares, courts et précis.

Bolitho réfléchit une seconde et finit par envoyer chercher Allday. Lorsqu’on le ramena, il interrogea des yeux le secrétaire, qui se contenta de hausser ses épaules tombantes.

— Amiral ?

— Prenez Yovell, allez chercher la fille tous les deux et ramenez-la-moi. Et sur-le-champ, je vous prie, ajouta-t-il à leur surprise grandissante.

Keen était sans doute sur le pont, occupé à observer les autres bâtiments, qui faisaient l’aperçu et obéissaient aux signaux de l’amiral.

Allday serrait les mâchoires, l’air buté.

— Si vous pensez que c’est judicieux, amiral.

— Je crois que oui, répondit Bolitho en le regardant droit dans les yeux.

Ozzard rangeait sa vareuse, posée sur une chaise, mais il hochait négativement la tête. Toute relation confiante serait tuée dans l’œuf si elle se retrouvait en face d’un vice-amiral.

À croire ce que lui avaient dit Keen et Tuson, elle était intelligente et l’influence de son père lui avait sans doute valu un certain niveau d’éducation.

Il se mêlait de ce qui ne le regardait pas, mais il avait vu quel effet se lisait sur les traits de Keen au simple fait de mentionner son nom. Cette métamorphose, Bolitho l’avait encore en tête ; il fallait agir avant qu’elle eût quitté le bord.

Mais il n’était absolument pas préparé à ce qui suivit.

Yovell souleva la tenture, et la jeune fille s’avança chancelante dans la chambre. À côté de la silhouette massive d’Allday, elle paraissait toute petite, mais gardait la tête haute. Elle s’arrêta sous la claire-voie, immobile. Seuls ses yeux bougeaient.

Avec la chemise blanche et le pantalon qu’elle portait et qui étaient empruntés à un aspirant, ses longs cheveux châtains attachés sur la nuque par un ruban, on s’y serait trompé, et on l’eût presque prise pour un hôte du poste. Mais à ses pieds, qu’elle avait aussi petits que ses mains, elle n’avait pas de chaussures, et Yovell se hâta d’expliquer :

— Même les jeunes messieurs chaussent trop grand pour elle.

— Asseyez-vous, lui dit Bolitho, j’ai à vous parler.

Il remarqua qu’elle avait une épaule raide. Tuson avait dit qu’elle garderait cette cicatrice à vie. Et elle n’avait subi qu’un seul coup de fouet.

— J’aimerais savoir…

Elle leva les yeux pour croiser son regard, des yeux d’un brun foncé, des yeux noyés. Inutile de se demander pourquoi Keen avait succombé à son charme.

— … comment vous en êtes arrivée là.

— Allez, murmura Yovell, raconte à Sir Richard, ma jolie, il ne va pas te manger.

Elle sursauta, soudain inquiète, et ouvrit grand la bouche en s’exclamant :

— Sir Richard !

Bolitho eut envie de réprimander Yovell, mais il se retint :

— Dites-moi tout, je vous prie.

Elle continuait pourtant de le regarder fixement :

— Mais… mais c’est le commandant que j’ai vu !

— L’amiral, ici, commande tous les bâtiments, tous les commandants, mademoiselle, lui expliqua patiemment Yovell. Et il a sous ses ordres deux mille huit cents marins et fusiliers – il la regarda, l’air grave : Ça lui fait beaucoup de travail, si on peut dire, alors, parle et ne lui fais pas perdre son temps.

— Voilà qui est bien dit, reprit Bolitho en souriant, mademoiselle, euh, Zénoria, c’est bien cela ?

Elle baissa les yeux et contempla ses mains cachées dans son giron. Elle se lança enfin :

— Ils ont pris mon père, amiral. C’était un homme de bien, un homme plein de ressource. Il croyait qu’il y a une justice pour les gens.

Elle avait le regard perdu dans le vague, et Bolitho ne put que constater qu’il retenait son souffle. À l’écouter parler, simplement. C’était la Cornouailles qui de nouveau lui tintait à l’oreille.

— Je les ai vus le pendre, monsieur.

— Mais pendre pour quel crime ?

— C’est à cause du seigneur, monsieur. Il est arrivé à la maison avec quelques-uns de ses hommes et ils ont essayé de détruire sa presse. Mon père leur a montré qui il était.

L’orgueil projetait son menton en avant, ce qui lui donnait l’air encore plus vulnérable.

— Il a fait tomber le seigneur de son cheval, des gens sont arrivés du village pour lui prêter main-forte. Quelqu’un a été tué. Puis les dragons sont arrivés, et ils l’ont emmené.

— Quel âge aviez-vous ?

— Dix-sept ans, monsieur. C’était il y a deux ans. Ils m’ont envoyée dans le Dorset pour y travailler dans une grosse demeure et pour aider à éduquer les enfants qui s’y trouvaient.

Il était difficile de lui parler comme il aurait souhaité en présence de Yovell et d’Allday. Mais il voulait s’assurer qu’elle ne mentait pas, qu’elle n’était pas la putain décrite par le capitaine de l’Oronte. Il pouvait être dangereux de rester seul avec elle.

— Racontez-moi ce qui s’est passé à Lyme.

— Ton jugement va être apporté à bord, ma jolie, la prévint Yovell d’une voix ferme, ne t’amuse pas à raconter des mensonges.

— Mais taisez-vous, pour l’amour du ciel ! l’arrêta Bolitho.

La jeune fille se recroquevilla comme si cette bouffée de colère lui était destinée, au moins en partie.

— Allday, allez lui chercher un verre – et, essayant de retrouver son calme : Il faut que je sache, dit-il.

Elle baissa les yeux.

— Nul n’ignorait ce qui était arrivé à mon père et ce qui s’était passé. Le maître passait son temps à me tripoter, il me disait que j’avais bien de la chance d’avoir trouvé un toit sous lequel m’abriter. Puis, un jour, il est entré dans ma chambre… Il a essayé de… continua-t-elle d’expliquer, tremblante, et ôtant des mains d’Allday le verre, auquel elle ne toucha pas. Il m’a forcée à…

Elle leva les yeux, des yeux égarés, son regard implorait.

— Je faisais des travaux de ravaudage aux habits des enfants… – les mots sortaient difficilement – … j’ai pris les ciseaux et je l’ai frappé.

Bolitho se leva et passa lentement derrière sa chaise. À l’entendre, tout était si clair ! Il croyait presque voir la scène.

— Et ensuite ?

— Il n’est pas mort, monsieur, mais on m’a envoyé devant les assises. Vous connaissez le reste, monsieur.

La déportation à vie.

— Vous pouvez regagner votre chambre, Zénoria.

Bolitho regardait son visage renversé. Dix-neuf ans, mais avec sa chemise d’aspirant et ses cheveux nattés elle avait l’air d’une enfant.

Elle se leva et tendit son verre à Allday : il était plein.

— Le capitaine Latimer voulait la même chose de moi, monsieur.

Elle n’eut pas besoin d’en dire plus.

— Demain, mon secrétaire vous aidera à coucher tout ceci par écrit. Je ne peux pas, je devrais dire : je ne dois pas, faire semblant de pouvoir vous aider en la matière – il posa sa main sur son épaule et, cette fois, elle ne broncha pas. Mais, je vous le promets, je vais essayer.

Il retourna près des fenêtres et attendit que la porte fût refermée.

— Voilà qui a été bien mené, amiral, dit simplement Allday en revenant, y a pas d’erreur là-dessus. Elle pleure comme une Madeleine, mais ça va lui faire du bien.

— Vous croyez ?

Bolitho regardait les pavillons qui s’envolaient aux vergues de l’Hélicon, mais il ne voyait en réalité que les yeux de la jeune fille, cette souffrance profonde qui l’habitait. Je les ai vus le pendre. Il songeait au seigneur qui avait épousé sa sœur Nancy, à Falmouth. Un riche propriétaire qui avait toujours lorgné la maison des Bolitho. Dans son dos, les gens du pays l’appelaient le Roi de Cornouailles. Mais il était gentil avec Nancy, même si ce n’était qu’un m’as-tu-vu qui vivait au-dessus de ses moyens, en temps de guerre comme en temps de paix. Il était également magistrat, mais même lui aurait demandé la grâce plutôt que la déportation. Cela dit, était-ce si sûr ?

De nouveaux coups de sifflet : il en déduisit que les exercices étaient terminés pour la journée.

Il se tourna vers la porte en entendant le factionnaire claquer des talons. Keen lui dit :

— Je viens d’apprendre ce qui s’est passé, amiral. Je regrette que vous n’ayez pas pris la liberté de me demander lorsque…

— Asseyez-vous, Val, lui dit doucement Bolitho. Nous n’allons pas nous disputer. Si j’ai reçu cette fille, c’est pour vous, pas contre vous.

— Pour moi ? s’exclama Keen, cherchant à comprendre.

— Elle était assise ici, lui dit Bolitho en lui montrant une chaise. Je vous prie d’en faire autant.

L’émotion se lisait sur les traits de Keen. Il l’avait rarement vu en colère, mais cet accès-là, c’était autre chose, comme s’il couvrait quelqu’un.

— Nous devrons l’envoyer à terre dès que nous serons à l’ancre. Ce n’est qu’une solution temporaire, mais celle-là est dans mes cordes. D’après son récit, y compris ce qu’elle a tenu caché, je pense qu’il y a de l’espoir, si seulement…

Mais Keen le coupa en s’exclamant :

— Je peux écrire à mon cousin, à la City. Je suis sûr que nous pouvons… – il se retourna et regarda Bolitho dans les yeux : C’était gentil à vous, amiral, le remercia-t-il. J’aurais dû comprendre.

Bolitho remplit deux verres de cognac et devina qu’Ozzard écoutait tout derrière la porte de la cambuse.

— On a cruellement abusé d’elle, Val – ses mots tombaient comme de la grenaille sur un étang calme. On l’a violée, semble-t-il, et ce n’était pas le pire.

Les yeux bleus de Keen étaient remplis de douleur. Il avait visé juste. Mais Bolitho ne savait pas trop s’il devait en être satisfait ou en souffrir.

— J’ai beaucoup d’affection pour elle, amiral, reprit plus tranquillement Keen.

Il leva les yeux, l’air inquiet, comme s’il s’attendait à voir Bolitho exploser.

— Je le sais, Val. Je crois que je l’ai su depuis ce jour où vous êtes allé lui rendre visite, peut-être même avant – il hocha la tête. La chose est donc entendue.

Keen reposa son verre, qu’il avait vidé sans même s’en apercevoir.

— C’est impossible ! Ce serait folie de ma part de seulement y songer !

— Quel âge avez-vous, Val ? Trente-cinq, trente-six ans ?

— Un an de plus, amiral. Et ce n’est qu’une jeune fille.

— Non, Val, une femme, et souvenez-vous-en bien, hein ? Au fur et à mesure que vous vieillirez, l’écart diminuera entre vous deux, il n’augmentera pas.

Il pencha un peu la tête et observa, amusé, l’expression que prenait Keen.

Peut-être avait-il eu tort pour tous les deux. L’adjoint du gouverneur de Gibraltar pouvait refuser de garder la jeune fille.

Mais en tout cas la vérité avait éclaté et Bolitho, tout surpris, s’en trouva ravigoté.

— Je me leurre moi-même, amiral, lui dit Keen.

— Nous verrons bien, répondit Bolitho en le prenant par le bras.

Il leva les yeux vers la claire-voie en entendant la vigie qui criait quelque chose. Une minute plus tard, l’aspirant de quart apparut à la porte, haletant.

— ’Vous demande pardon, amiral – et, avec un regard qui allait d’un officier à l’autre : Mr. Paget vous présente ses respects, débita-t-il, et nous venons d’apercevoir une voile, amiral.

C’était l’aspirant Hext. Il dévorait la chambre des yeux, essayant visiblement de tout emmagasiner pour en nourrir sa prochaine lettre.

Bolitho lui adressa un sourire non dépourvu de solennité :

— Et aurons-nous le plaisir d’apprendre en temps utile où se trouve cette voile ?

Le garçon piqua un fard.

— Je… je suis désolé, sir Richard. Elle est dans le sudet.

— Mes compliments à l’officier en second, lui dit Keen. Je vais monter.

Mais il avait une voix bizarre, comme si la moitié de son cerveau était encore occupée par d’autres pensées.

— Dites au Rapide d’aller voir, ordonna Bolitho – il s’accrochait encore à ce bref instant pendant lequel ils avaient partagé un peu de chaleur. Nous allons peut-être avoir des nouvelles des Français.

Le regard de Keen s’éclaira soudain :

— Bien, amiral.

Et il disparut.

Mais ils en eurent bientôt, des nouvelles, et plutôt préoccupantes.

L’autre bâtiment se rapprochait, on le reconnut bientôt pour le Barracuda. Bolitho prit une lunette et alla rejoindre Keen à la lisse de dunette afin d’observer Lapish qui remontait dans le vent pour rallier l’escadre.

On devinait des hommes perchés sur les vergues, plusieurs voiles avaient été ravaudées. Bolitho aperçut de grosses glènes de cordage que l’on hissait dans les hauts : la besogne ne s’arrêtait pas même pendant la manœuvre.

— Il a dû se battre – Keen fit un signe à son second : Préparez vous à réduire la toile, monsieur Paget, ordonna-t-il.

Bolitho restait impassible tandis que les hommes de quart sur la dunette scrutaient ses traits. Tout recommençait donc. L’accalmie n’avait été que provisoire.

— Vous avez raison, Val. Convoquez le commandant à bord immédiatement.

Une heure plus tard, le capitaine de vaisseau Jeremy Lapish était assis dans la chambre de Bolitho. Il semblait avoir vieilli depuis qu’il avait quitté l’escadre pour porter des dépêches à Gibraltar. Il expliqua :

— J’ai aperçu une goélette près des côtes et je me suis approché pour voir ce que c’était – et, acceptant avec gratitude le verre que lui tendait Ozzard : Avant que j’aie eu le temps de comprendre ce qui se passait, continua-t-il, deux frégates françaises ont surgi de derrière la pointe, vent arrière.

Bolitho lisait sur son visage le désespoir et la honte du jeune officier. Ce qu’il craignait était arrivé. La goélette avait servi d’appât et les deux français avaient failli coincer le bâtiment de Lapish contre une côte sous le vent.

— Je lirai plus tard votre rapport – Bolitho le fixait calmement : Avez-vous eu des pertes ?

Lapish, désespéré, fit un signe affirmatif :

— Deux hommes, amiral.

Il avait judicieusement décidé de s’échapper. Sans l’avantage du vent, débordé par le nombre, il n’avait guère le choix.

En aurais-je fait autant ? Bolitho se tourna vers lui.

— Quelles nouvelles de Gibraltar ?

Lapish essaya de chasser ses sombres pensées. Il avait manqué perdre son bâtiment tout juste après avoir pris son commandement. Et, pis encore, ou presque, il avait failli perdre la confiance de son équipage.

— Gibraltar a été mis sous quarantaine, amiral – il posa une grosse enveloppe sur la table et, les laissant l’examiner : La fièvre, expliqua-t-il. La moitié de la garnison est atteinte.

Bolitho commença à arpenter sa chambre. Le Rocher était célèbre pour les poussées de fièvre qui y sévissaient, mais ce n’était vraiment pas le moment.

— Il n’est pas de plus mortel ennemi, dit-il – puis, à Keen : Il nous faudra rester à l’écart tant que nous ne saurons pas ce qui se passe, fit-il avant d’ajouter à l’intention de Lapish : Retournez à votre bord.

Il aurait bien aimé partager sa souffrance, se plaindre avec lui. Mais il décida de n’en rien faire et conclut sèchement :

— Estimez-vous heureux d’avoir encore un commandement.

Keen raccompagna à la coupée un Lapish tout penaud.

La fièvre. Bolitho se sentit pris d’un frisson. Ce seul mot le ramenait en plein cauchemar, en ce jour où il avait manqué lui-même en mourir. Cela pouvait recommencer.

Il se ressaisit et essaya d’imaginer dans quelle mesure ces nouvelles modifiaient leurs plans. Gibraltar isolé, il allait devoir décider par lui-même de la conduite à tenir.

Il sourit amèrement : désormais, il ne pouvait plus se comporter en simple spectateur.

 

Flamme au vent
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